Négociation et ciblage clients

Récemment, j’ai été témoin de négociations lors d’un process de vente d’une voiture d’occasion.
Les données de départ : 12000 euros en concession pour une offre équivalente ; prix de vente affiché à 9500 euros, soit un écart significatif de 2500 euros.

Étonnement du Vendeur à la première offre d’achat reçue après rdv, tests, etc… : 9000 euros. L’offre d’achat présentait donc une part dite de « négociation du prix », malgré un prix de vente affiché déjà tout en bas de la fourchette de prix raisonnable.
Les arguments donnés par l’Acheteur étaient les quelques défauts apparents (ex : petite rayure sur portière), alors que ceux-ci étaient déjà pris en compte par le prix de vente affiché.

La question qui vient est donc : pour quelle raison l’Acheteur ne s’est-il pas précipité de conclure la transaction au prix affiché, et a-t-il au contraire ressenti le besoin, la nécessité même, de négocier le prix d’Achat ?

Tout d’abord, on pourrait être tenté d’y voir une conséquence du problème classique d’asymétrie de l’information : sur un marché d’occasion entre Particuliers, de gré à gré, on peut supposer que l’Acheteur craint souvent que le Vendeur possède des informations qu’il ne révèle pas, et maintient cachées pour l’Acheteur. Et que ce dernier, mû par cette crainte, estime qu’il doive demander à baisser le prix d’Achat par rapport au prix de Vente affiché, pour tenir compte de cette part d’inconnu.
Cela nous renvoie alors à un mécanisme de Théorie des jeux : le Vendeur affiche un prix de Vente plus élevé, car il sait que l’Acheteur sait que le Vendeur sait que l’Acheteur va négocier… [même si, paraît-il, on peut tromper 1000 fois un homme, mais…]

Mais cette explication n’est que partiellement satisfaisante. Tout d’abord, l’offre de référence à 12000 euros est justement celle d’un professionnel (concessionnaire), donc les 2500 euros d’écart embarquent déjà, théoriquement, ce risque d’inconnu lié à l’asymétrie d’information.
Par ailleurs, quel que soit le prix de Vente affiché par le Vendeur, l’Acheteur, semble-t-il, aurait proposé un prix d’Achat inférieur. Sauf peut-être prix de Vente déraisonnablement bas où, paradoxalement, il n’y aurait probablement pas eu d’Acheteurs (ou du moins pas du tout de même nature), car le signal envoyé aurait été « ce produit et cette offre présentent de gros problèmes ».

Une autre explication pourrait alors être liée à la théorie des Perspectives, telle qu’exposée par le psychologue Daniel Kahneman dans son ouvrage Système 1 / Système 2, aux chapitres 25 – Les erreurs de Bernoulli, et 26 – La théorie des perspectives :

« La valeur psychologique d’un pari n’est donc pas la moyenne pondérée de son résultat possible en argent ; c’est la moyenne des utilités de ces résultats, chacune étant pondérée par sa probabilité »

Daniel Kahneman – Système 1 / Système 2 – chapitre 25 – Les erreurs de Bernoulli

« Dans la théorie de Bernoulli, il vous suffit de connaître l’état de richesse pour en déterminer l’utilité, mais dans la théorie des perspectives, vous devez aussi connaître l’état de référence. »

Daniel Kahneman – Système 1 / Système 2 – chapitre 26 – La théorie des perspectives

Ici, il est donc possible que le mécanisme ne soit pas lié à la seule comparaison des prix, mais bien à celle de l’utilité (de l’Acheteur) liée au mécanisme de la négociation.
Dit autrement, à prix d’Achat proche du prix de Vente affiché, mais obtenu après négociation, l’utilité, elle, pourrait être nettement supérieure :

Parmi les principales implications pour les entreprises, cela pourrait signifier que dans certaines situations, il serait préférable, plus même qu’utile, d’afficher un prix de Vente plus élevé, non pas dans l’objectif d’augmenter ses marges, mais bien d’augmenter la satisfaction client !… en permettant en effet à l’Acheteur de négocier et d’obtenir un prix de transaction inférieur au prix de Vente affiché, et d’obtenir une utilité (~une satisfaction) supérieure aux autres scenarii d’achats.

Bien entendu, dans le cas d’un modèle opérationnel où les clients n’ont pas d’interlocuteur avec qui négocier, et qui sont souvent dans des marchés où l’asymétrie d’informations est plus faible (ex : distribution de produits comoditisés), ce mécanisme n’est pas possible. À moins que les sites e-commerce développent bientôt un “bot” Vendeur qui permette la négociation ?…

Fin de l’histoire vécue de la vente de voiture : dès la seconde rencontre avec des Acheteurs potentiels, ces derniers ont formulé « une offre au prix ». La voiture leur a été vendue.

Une des différences entre les deux Acheteurs potentiels était l’écart générationnel. Cela pose la question sociétale de la corrélation entre le « réflexe de négociation » et les profils, notamment le critère générationnel : est-ce que, par exemple, les jeunes générations habituées aux plateformes (ex : Amazon, etc…), ont moins ce « réflexe » ?


Mais de façon plus générale, comme évoqué dans le chapitre B – Décrire la position stratégique d’une entreprise de mon ouvrage La Stratégie du Vide, cela pose la question du bon ciblage des profils clients, afin d’adapter la stratégie commerciale : cf matrice de schématisation de la stratégie commerciale, telle que proposée dans le livre.

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